Peut-on prendre l’initiative d’aborder la question de la sexualité avec ses patients ?

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

8 septembre 2021

France – Peut-on aborder la question de la sexualité avec ses patients, en restant dans son rôle de médecin et sans les choquer ? Si oui, comment en parler ? Arnaud Zeler, médecin généraliste, sexologue, Catherine Troadec, psychologue clinicienne, sexologue, ont tous deux abordé cette question lors du Sommet de la Santé Sexuelle qui s'est tenu de façon virtuelle les 4 et 5 septembre 2021 (à l’occasion de la Journée Internationale de la Santé sexuelle).

Les médecins en parlent peu

« Peu de médecins, toutes spécialités confondues, abordent spontanément les questions d’ordre intime avec leurs patients. Beaucoup estiment que c’est au patient d’en parler en premier », a constaté Catherine Troadec en introduction à sa présentation [1]. Ils sont par ailleurs nombreux à considérer qu’il est plus ou moins légitime d’aborder la question en fonction de l’âge du patient. « Les médecins vont avoir plus de facilité à aborder la question avec un ado sur la question de la contraception, par exemple, dans le cadre de l’éducation à la sexualité qu’avec un patient âgé – sachant que beaucoup d’idées erronées circulent encore sur la sexualité des sujets âgés, même chez les soignants », affirme-t-elle.

De fait, il y a peu d’implication de la part des soignants dans la prise en charge et le dépistage des troubles sexuels, et quand c’est le cas, il leur est parfois difficile de trouver un relai à la prise en charge, ou un réseau de soin adapté, considère la psychologue. Et ce, alors que la sexualité peut être perturbée par certaines maladies, certains traitements, certains événements de vie. « Peu d’explications claires sont transmises aux patients sur les traitements possibles et leurs effets, patients se sentent démunis », constate la psychologue montpelliéraine.

Au final, « on se retrouve dans une situation où les patients n’osent pas parler de leurs difficultés d’ordre sexuel à leurs médecins, qui eux-mêmes ont peur d’être trop intrusifs en abordant le sujet », résume-t-elle.

Sinon, comment va la sexualité ? 

Pourtant l’enquête réalisée par le Dr Arnaud Zeler en 2015, dans le cadre de sa thèse de médecine générale, dément ces craintes puisqu’elle montre que « les patients attendent au contraire que le médecin aborde le sujet de la sexualité avec eux, que cela fait partie de la santé et qu’il est logique qu’un soignant qui s’occupe de l’intimité du corps puisse poser ces questions ». Dans son enquête, le médecin généraliste exerçant à Montpellier a interrogé 96 patients (âgés de 18 à 86 ans) représentatifs de la patientèle en médecine générale, venu consulter pour des motifs divers, et auquel il posait la question « et sinon, comment va la sexualité ? ».

L’étude publiée en 2017 [2] a montré qu’une grande majorité des patients (81%) a été favorable à ce que le médecin pose la question de façon systématique. De la même façon, 93% ont dit ne pas ressentir de gêne qu’un médecin pose la question. Et si certains peuvent avoir été surpris, « nombreux sont ceux qui ont trouvé une raison rationnelle qu’ils ont mis en lien avec le motif de consultation (contraception, grossesse, baisse de moral…), leurs antécédents médicaux ou des facteurs de risque, ou la fonction même de l’interlocuteur considérant que le médecin est proche de l’intimité », explique Catherine Troadec, co-autrice de l’étude. « Même quand il n’y avait pas de raison médicale à la question, les patients s’en sont remis à la relation de confiance avec leur médecin pour légitimer la question et comprendre qu’elle n’est pas posée par curiosité mais dans le cadre du bilan médical », analyse-t-elle, même si certains ont reconnu que « c’est la première fois qu’un médecin leur pose cette question », ou encore que c’était « inhabituel ou rare ».

Sortir des préjugés et encourager une démarche pro-active

Pour elle, « l’étude montre qu’il peut exister un grand décalage entre les craintes des médecins et les attentes des patients ». C’est pourquoi, « il est important de sortir des préjugés et encourager une démarche pro-active des soignants, d’autant que « la santé sexuelle fait partie intégrante de la prise en charge du patient ».

De plus, comme « l’approche sexologique est transversale à la grande majorité des problématiques que rencontrent les patients rencontrés en consultation », Catherine Traodec considère que « les soignants – qui ne sont pas nécessairement sexologues et qui n’ont pas forcément de formation spécifique dans le domaine de la sexologie – ont quand même toute leur place dans le dépistage et la prise en charge des troubles sexuels de leurs patients ».

Permettre aux soignants d’aborder plus facilement la question de la sexualité avec leurs patients est, selon elle, une façon de mieux intégrer la santé sexuelle au parcours de soin de leurs patients (cancer, vieillissement…). Enfin, aborder ce sujet peut renforcer le lien patient-soignant en permettant à la consultation d’explorer le terrain de l’intimité qui parfois échappe totalement au soignant, notamment dans le cas des violences sexuelles. « Si l’on ne pose pas de question sur la vie intime, on peut passer à côté des choses graves pour les patients », rappelle la sexologue.

Pallier les freins sur cette thématique

Pourquoi les professionnels de santé n’abordent-ils pas la question de la sexualité en consultation? Outre la crainte d’embarrasser le patient, le manque de temps est l’autre grande raison citée par les médecins. Face à cet argument, la sexologue propose de différer la demande du patient, et de lui proposer d’y consacrer une prochaine consultation en prenant immédiatement rendez-vous si nécessaire.

Enfin, les soignants évoquent souvent leur manque de formation sur ces questions. Sur cet aspect, Catherine Troadec reconnait que « l’éducation et la posture pédagogique sont l’une des clés de la communication sur le sujet avec le patient. Il est important de posséder des notions sur les réactions sexuelles féminines ou masculines, pour expliquer ou dédramatiser les situations, en encore d’avoir des notions sur le couple, son fonctionnement, ses dysfonctionnements, etc. ». Des formations universitaires et des sites disposant d’outils pratiques à destination des professionnels de santé existent (Voir encadré).

Comment en parler ?

En parler, oui, mais comment ? « Le plus simple est de choisir une question avec laquelle on se sent à l’aise, du type « est-ce que vous rencontrez des difficultés dans votre vie intime », « est-ce qu’au niveau affectif et sexuel vous vous sentez bien ? » ou tout simplement « comment ça va la sexualité ? (la question utilisée dans l’enquête) » préconise Catherine Traodec. « L’important étant d’ouvrir un espace de parole pour son patient qu’il le saisisse maintenant ou plus tard ».

En routine, elle préconise de « prendre le temps d’informer les patients sur les retentissements de certains traitements et de certaines maladies sur la vie intime, en leur précisant de ne pas hésiter à évoquer les éventuelles répercussions sur leur vie sexuelle qu’ils pourraient rencontrer, le risque étant que le patient arrête son traitement sans en parler au médecin puisque les patients n’abordent pas spontanément cette question. »

Sexoblogue, un site pour se former et informer ses patients

Outre le DIU de sexologie (ouvert à tous les soignants), il existe des sites comportant des nombreuses informations y compris des cours. C’est la cas du « sexoblogue » créé par Catherine Traodec et le Dr Arnaud Zeler où les professionnels de santé trouveront des schémas, des documents sur le retentissement de différentes pathologies sur la sexualité, ainsi que des fiches-outils avec dessins anatomiques simplifiées et description des principaux troubles (avec des fiches à imprimer et à remettre à la patiente). Le chapitre consacré à la sexualité féminine est disponible, celui consacré à la sexualité masculine est en construction.

Crédit photo : Getty Images
 

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